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Depuis la fin du XVIIIe siècle, âge d'or de l'orchidophilie, l'Europe s'engoue pour la plus riche famille d'Angiospermes, qui séduit par l'élégance de ses fleurs, leur diversité et leur ingéniosité en matière de pollinisation. Très tôt qualifiée d'orchidomania, cette vogue pour l'Orchidée — qui est davantage qu'une simple vogue — a été fort bien explorée par Eric Hansen dans son recueil de voyage et d'entretiens : "Orchid Fever". De nombreuses rencontres avec des cas représentatifs d'orchidophiles contemporains souligne l'extrême tension qui habite de nombreux passionnés, cette folie parfois névrotique, du collectionneur effréné à l'illustre chasseur d'orchidées, inexplicable pour le vulgum pecus, inexpliquée par le passionné lui-même. Guy de Maupassant, mieux que quiconque, nous décrit la langueur mystérieuse de celui que "le virus" a touché — expression populaire sur les fora aujourd'hui, qui nous renvoie immanquablement à cette composante quelque peu pathologique de la passion orchidophile.
J’aime les fleurs, non point comme des fleurs, mais comme des êtres matériels et délicieux. [...] Mais j’entre le plus souvent chez les orchidées, mes endormeuses préférées. Leur chambre est basse, étouffante. L’air humide et chaud rend moite la peau, fait haleter la gorge et trembler les doigts. Elles viennent, ces filles étranges, de pays marécageux, brûlants et malsains. Elles sont attirantes comme des sirènes, mortelles comme des poisons, admirablement bizarres, énervantes, effrayantes.
Si le protagoniste de cette nouvelle écrite en 1886 est un misanthrope avéré, qui a substitué aux relations humaines une relation devenue malsaine car exclusive pour l'Orchidée, rares sont les orchidophiles qui tombent dans de tels excès. Et pourtant, l'orchidée, cette "fleur dont on se demande si elle n'est pas animale", quel est son secret qui éluciderait son pouvoir de fascination universel ? Cet article est une invitation, non à répondre à cette énigme de façon nette et affirmée, mais à explorer d'autres modes de rapport que l'Homme a su établir avec l'Orchidée par le passé. Une invitation, en évitant l'anachronisme, à sentir des résonances entre les comportements de l'orchidophile (au sens étymologique) moderne et ceux de "l'orchidophile aztèque" : des modes de relation qui ne soient pas seulement esthétiques comme l'était l'orchidomania victorienne, mais également utilitaires, alimentaires — la vanille, qu'on ne présente plus —, pratiques, symboliques, spirituels. Car si la mode est à l'écologie, il est rarement question dans les médias d'aborder les fondements-même de notre rapport au monde, des modes de relation aux êtres avec qui nous partageons un espace d'existence commun — c'est-à-dire, le fondement-même de la notion d'écologie : le discours sur l'Habitat.